1950 |
Deuxième séjour à Madagascar. Cette fois ci nous habitons à Antsirabé, sur les hauts plateaux. C'est un vrai paradis, avec le climat de la côte d'Azur. Il y pousse aussi bien les fruits tropicaux, que les fruits de France. Nous avons d'ailleurs un grand jardin, en partie potager où je sème des pois du Cap. Un genre de haricots qui pousse à une vitesse sensationnelle ce qui est très satisfaisant pour un apprenti jardinier |
Papa et Goulven font du cheval. Goulven devient très bon cavalier, et on lui offre son propre cheval, une jument baptisée Ecume.
Maman et moi nous essayons aussi mais cela ne marche pas du tout pour nous. Je ne suis pas interessé et le moniteur me dégoûte pour sa brutalité avec les chevaux. Maman abandonne après une chute spectaculaire où elle m'a fait une peur terrible. Elle est tombée à plat dos et je l'ai crue morte. |

Papa et Goulven |
A quelques kilomètres, dans un cratère éteint, le lac Andraikiba était un rendez-vous pique-nique régulier. Il y avait une flottille de petits dériveurs, des Moth. Là je me régale et nous faisons souvent des régates où je me défends assez bien. |

moths sur le lac Andraikib |
|
Les vacances à Antsirabé étaient royales. Nous allions en vélo à la piscine. L'eau thermale y coulait à 36°, et on restait tellement longtemps dans l'eau qu'on finissait par avoir froid. Parfois Papa nous prêtait un pick-up et son chauffer et nous allions dans une forêt de mimosas, où nous avons entrepris la construction d'une énorme cabane. J'avais un bon copain dont le père était fabricant de cigarettes, les Zerga, équivalent local des Gauloises.
Il n'y avait pas d'école secondaire à Antsirabé, seulement à Tananarive, le collège jésuite Saint Michel où je fus donc pensionnaire. A l'époque collège voulait dire école catholique et lycée école laïque, mais le collège allait de la sixième à la terminale. Je partais d'Antsirabé en car, pour 170 km, dont 50 goudronnés.
|

Départ pour le collège |
Le dortoir était une grande salle qui contenait une centaine de lits, sur quatre rangées. Chaque lit était séparé du voisin par une petite table de nuit, et protégé par une moustiquaire qui donnait une sorte d'intimité une fois couché. Silence absolu de rigueur. Des bonnes sœurs s'occupaient du linge, qui était marqué d'un numéro, 116 pour moi. Deux fois par semaine on trouvait un rechange propre sur notre lit. Lever à 6 h 30 je crois. Toujours en silence on allait faire la queue aux cabinets et pour se laver. Pour celà il y avait une grande gouttière en tôle le long d'un mur, et un tuyau percé d'un petit trou tous les mètres, qui faisait un petit jet continu. On faisait donc la queue devant les jets et chacun son tour on se lavait la figure et les dents. C'était succinct. Ensuite on descendait en rangs jusquà l'étude. Là encore une immense pièce avec des rangées de pupitres, deux blocs de 5 pupitres par rangée. A un bout de la salle une haute estrade avec le bureau du père surveillant. On aurait entendu une mouche voler. Pour aller au WC on levait le doigt et on était autorisé chacun son tour. A l'entrée du lieu un grand panier contenait les vieux papiers qui servaient de papier de toilette. Il fallait le froisser serré puis le défroisser pour avoir quelque chose qui essuyait au lieu d'étaler !
Près du pupitre du surveillant il y avait des casiers où on devait déposer un bulletin de confession. C'était un petit papier de la taille d'un billet de Monopoly, avec un formulaire "L'élève ..... demande à se confesser au Père .... le .... " Chaque confesseur avit son casier. Seulement ce n'était pas confidentiel, mais scruté. Il était bien vu de se confesser chaque semaine, normal pour des grands pêcheurs de 12 ans. Si je n'y allais pas deux semaines de suite j'étais convoqué par le père recteur qui me susurrait "Hervé tu n'as pas vu le Père Machin depuis quinze jours, as-tu un problème mon petit ? Il faut m'en parler." Tu parles, Sale flic! me disais-je.
Après l'étude toujours en rangs, en silence et bras croisés, direction la chapelle pour la messe. Ensuite et enfin descente au réfectoire pour le petit déjeuner. A une période je ne tenais pas le coup jusque là et je tombais dans les pommes pendant la messe. Alors un copain de Goulven, qui était pion et avait sa chambre pas loin de la chapelle, m'a préparé pendant quelques jours un vrai petit déjeuner de chocolat au lait avec des tarines beurrées. Quelle jouissance!
Le réfectoire ! Immense, tous les élèves dans la même salle, par tablées de dix ou douze, sur des bancs. Chacun une gamelle et un gobelet en alu et un couvert. Là encore un père trônait sur une haute estrade et faisait la lecture. Vers la fin du repas il cessait la lecture et on pouvait parler. Le boucan était aussitôt abominable.
Pour le petit déjeuner on prenait en passant près de l'entrée un morceau de pain, un petit tronçon de baguette. A table on nous servait un quart de cacao à l'eau vaguement sucré. De quoi tremper le bout de pain sec.
Pour les repas il y avait un ragoût noirâtre, invariablement accompagné de riz. Mais du riz non blanchi, avec sa petite peau rouge, et qui collait en boules compactes. L'enveloppe rouge était peut-être une source de vitamines, mais au goût ce n'était pas fameux. Dessert une banane, toujours. Malgré les vitamines du riz complet j'ai fait une avitaminose assez sévère. Quand je suis rentré à la maison pour les vacances de Pâques, la peau de mes pieds partait en lambeaux, et j'ai passé la majeure partie des vacances avec les pieds tartinés de pommade et bandés.
Bref la plus grande part de la journée c'était en rangs et en silence ou en salle de classe ou d'étude, toujours en silence.
Il y avait des petites récrés, mais surtout une grande récréation après le repas de midi. Cela se passait sur un grand terrain en terre battue, planté de grands eucalyptus. Le loisir le plus pratiqué, très original, c'était le football sur échasses. Il y avait des centaines d'échasses assez courtes, le pied à environ 30 cm du sol. On courait là dessus et on tapait la balle avec le bas de l'échasse. Il y avait des chutes bien sûr et le résultat était souvent un bras cassé. Vraiment cassé, les deux os, et le bras plié à 90°. On manquait sans doute de calcium autant que de vitamines !!! J'ai échappé à ce genre d'accident, je ne pratiquais pas beaucoup le foot. |
La tuberculose : je me plaignais souvent d'avoir mal au dos, et je ne respirais sans doute pas la santé. Maman a donc décidé de me faire passer une radio et elle m'a accompagné. Je me souviens bien de la séance, j'avais été impressionné par le tablier de plomb que portait le radiologue. Une fois les clichés développés, consternation. Le médecin montre à Maman que j'ai une grosse caverne à chaque poumon, tuberculose avancée. On chuchote mais je perçois que c'est grave. Le lendemain je me retrouve à l'hopital, au lit, dans le pavillon des contagieux. Défense de me lever et de faire des efforts, piqure dans la fesse matin et soir. Les journées sont longues et ça dure un mois. Consultation, j'entends le médecin dire à Maman qu'il faudrait me faire un pneumothorax, mais que la convalescence dure un an et qu'il vaudrait mieux aller faire ça en France. Je ne sais pas ce que c'est qu'un pneumothorax, mais au ton de la conversation ça me paraît terrifiant.
Me voilà donc "rapatrié sanitaire", et je me retrouve dans une clinique à Paris où je m'ennuie ferme pendant une semaine. Avant de décider de mon sort on me fait une série de radios avec du matériel plus moderne et miracle, pas la moindre de trace de cavernes dans les poumons. Ouf! plus question de pneumomachin. On explique que la tâche sur les poumons était sans dout dûe à la présence d'œufs d' ascaris. Ces gros vers, de 15 à 20 cm de long, vivent dans l'intestin mais les larves migrent dans les poumons, puis redescendent dans l'intestin. Quelle horreur. Cependant, tant d'années après, j'ai encore un doute sur le diagnostic. Le seul symptôme dont je me souvienne c'est les douleurs dans le dos, pas de diarrhées ni de vomissements ni de douleurs abdominales. Et ces mêmes douleurs dans le dos me visitent encore de temps à autre. |

départ de Tana |
|
Ensuite j'ai un trou de mémoire complet, le black-out... |
|