Hervé
     


1939
Souvenirs d'Hervé Cozanet 1938 - 20??
2013

1947 Grand changement dans notre vie, c'est le premier départ pour Madagascar. Papa y était en poste depuis quelques mois et maman l'a rejoint avec les trois garçons. Quelle aventure. Pas beaucoup de photos, des souvenirs très morcelés mais précieux. En passant à Paris nous avions fait des achats, au Bon Marché ou à la Samaritaine, pour nous procurer des vêtements tropicaux, et des casques coloniaux. Cet accessoire est bien passé de mode et haï comme un symbole du colonialisme ! A l'époque il était presque impensable de rester au soleil sans cette protection, et de risquer l'insolation. Ce n'était pas idiot et le casque en liège recouvert de tissu blanc ou kaki était confortable.
Papa était Chef de Province, il administrait une région très vaste. La "résidence" était une grande maison carrée, datant de la conquête coloniale. Pas d'électricité, sauf dans les grandes occasions, grâce à un groupe électrogène logé à la cave. Pour aller se coucher chacun avait sa lampe à kérosène, et on se brûlait souvent les mollets en la portant ! Conçue pour être la moins chaude possible, il n'y avait pas de vitres aux énormes fenêtres, mais des persiennes. Les murs à l'étage étaient en briques et ajourés.

La Peugeot 202, un chauffeur, Goulven
et moi avec un des chiens de Papa

Avec Alain et un maki

Il y avait un très grand jardin, magnifique terrain de jeu. Je ne sais pas combien il y avait de jardiniers. Le personnel était nombreux, cuisinier, maitre d'hotel, aide-cuisinier, femmes de ménage, 2 chauffeurs, menuisier... Quand il y avait une réception des prisonniers de droit commun venaient en renfort. Papa avait deux chiens Tenerife, des petits chiens blancs frisés. Ils faisaient partie de la lignée qui a été reconnue plus tard comme la race Tuléar. Quand il y avait des invités, un boy, souvent un prisonnier, était chargé d'activer le "panka", grand cadre rectangulaire tendu de toile, suspendu au plafond. Un système de poulies et de corde permettait de le balancer au dessus de la table comme un éventail. L'opérateur était à l'extérieur de la salle. Souvent il s'allongeait et accrochait la ficelle de commande à son gros orteil.

1947 c'est l'année de la rébellion. Sujet difficile à aborder de nos jours tellement il y a eu de désinformation. Il est devenu à la mode de honnir les Français, ces horribles colonisateurs qui opprimaient les populations indigènes. Ce que j'ai vu et vécu est bien différent de ces clichés. Le travail des fonctionnaires français c'était d'éduquer, de soigner, de construire. La priorité était d'ouvrir des écoles et des dispensaires et de former les personnels capables de les faire fonctionner, instituteurs, infirmiers etc. Il fallait construire des routes et des ponts, dans cet immense pays presque vide. Après l'école primaire il y avait des écoles techniques pour apprendre la menuiserie, la couture, la mécanique etc. Les Malgaches modestes étaient généralement habillés d'un minuscule pagne, le salak, et d'un bonnet de paille. Les petits garçons étaient intégralement nus jusqu'à la puberté. J'étais stupéfait et un peu envieux de les voir courrir en bandes dans la rue. Les dames françaises devaient en être choquées et organisaient la fabrication el la distribution gratuite de vêtements. Des shorts et vareuses écrues plutôt ridicules. Dans les écoles tout le monde était habillé.
Un beau jour deux vieux chefs de village étaient venus à la résidence pour affirmer au Chef leur fidélité à la France. Vétus d'un salaka, pagne minimum, d'un bonnet en paille et d'une couverture sur les épaules. Pas de bagage à part un vieux fusil à chien, et quelques munitions. Ils s'étaient installés sur la veranda, et trouvaient naturel que le cuisinier les nourrissent somptueusement. Aucune indication sur le temps qu'is comptaient rester. Après quelques jours ils ont annoncé qu'ils repartaient et que pour marquer la fin du séjour ils tireraient un coup de fusil. Ce qu'ils ont fait très solennelement, et avec succès. Papa craignait que leur pétoire explose. Je ne sais pas combien de kilomètres à pied ils avaient fait pour venir!!!!
Il faut dire qu'à l'époque à Madagascar la marche à pied était le moyen de locomotion normal. Je me souviens voir à la poste les horaires de levées de courrier. Pour certaines destinations c'était "Betiouky, vers le 15" par exemple. Le postier allait à pied, souvent en courant, sur des dizaines ou centaines de kilomètres en portant quelques lettres. Pieds nus, salaka et bonnet de paille. C'était normal.
Je n'ai jamais vu mon père ni aucun de ses collègues faire autre chose que de travailler à l'amélioration de la vie dans ce pays, et je n'en ai jamais vu maltraiter ou brutaliser un Malgache. Ils étaient certes paternalistes, ce n'est pas un crime.
Des intellectuels malgaches, formés en France, endoctrinés par les communistes, ont persuadé certaines populations de se révolter contre les blancs en leur promettant l'âge d'or ensuite. Ils ont malheureusement été suivis et cela a conduit à un massacre inutile. La répression a parait-il été brutale mais je suis sûr qu'elle l'a été beaucoup moins que ce qu'on prêche maintenant. Madagascar progressait régulièrement et la transition vers l'indépendance aurait pu se faire pacifiquement quelques années plus tard. On a malheureusement vu et on voit encore ce que le socialisme dans l'indépendance a fait de Madagascar : un des pays les plus misérables du monde.
 
Mes souvenirs de Tuléar sont très fragmentés. L'école, aucun souvenir, pourtant j'y suis allé.
C'était plutôt les perpétuelles vacances. Goulven et moi nous passions nos temps libres dans l'immense jardin, en compagnie d'un jeune "boy" qui nous était affecté. Nous allions jusqu'à la plage nous baigner dans un enclos grillagé protégé des requins. Sauf qu'un jour quand nous sommes arrivés il y en avait qui avait réussi à entrer mais ne trouvait plus la sortie.
Nous avions des makis, ces lémuriens à queue rayée. Mais ils ne sont pas affectueux du tout, ce sont des bêtes sauvages.
Papa avait un adjoint fana de voile, M. Lebec, et il avait fait fabriquer un dériveur en bois très rustique et robuste que Papa avait baptisé "Chapeau rond". Nous allions parfois en expédition jusqu'à la barre, à quatre km de la côte. C'était un vaste banc de sable recouvert de moins d'un mètre d'eau, un superbe spectacle de coraux, oursins et peits poissons de toutes les couleurs.
Un soir en rentrant de la barre nous avons éte surpris par le calme plat à mi route et il a fallu finir à la pagaie et arriver à la nuit tombée. Maman s'était inquitée et Papa était vexé !

1948

   

Saint Quay 1949
Pas beaucoup de souvenirs de cette période et encore moins de photos. J'avais eu un peu de mal à m'adapter à ma nouvelle école.
Notre voiture était une Simca 8, une berline conçue par Fiat, qui a eu un gros succès
       

1950
Deuxième séjour à Madagascar. Cette fois ci nous habitons à Antsirabé, sur les hauts plateaux. C'est un vrai paradis, avec le climat de la côte d'Azur. Il y pousse aussi bien les fruits tropicaux, que les fruits de France. Nous avons d'ailleurs un grand jardin, en partie potager où je sème des pois du Cap. Un genre de haricots qui pousse à une vitesse sensationnelle ce qui est très satisfaisant pour un apprenti jardinier
Papa et Goulven font du cheval. Goulven devient très bon cavalier, et on lui offre son propre cheval, une jument baptisée Ecume.
Maman et moi nous essayons aussi mais cela ne marche pas du tout pour nous. Je ne suis pas interessé et le moniteur me dégoûte pour sa brutalité avec les chevaux. Maman abandonne après une chute spectaculaire où elle m'a fait une peur terrible. Elle est tombée à plat dos et je l'ai crue morte.

Papa et Goulven
A quelques kilomètres, dans un cratère éteint, le lac Andraikiba était un rendez-vous pique-nique régulier. Il y avait une flottille de petits dériveurs, des Moth. Là je me régale et nous faisons souvent des régates où je me défends assez bien.

moths sur le lac Andraikib

Les vacances à Antsirabé étaient royales. Nous allions en vélo à la piscine. L'eau thermale y coulait à 36°, et on restait tellement longtemps dans l'eau qu'on finissait par avoir froid. Parfois Papa nous prêtait un pick-up et son chauffer et nous allions dans une forêt de mimosas, où nous avons entrepris la construction d'une énorme cabane. J'avais un bon copain dont le père était fabricant de cigarettes, les Zerga, équivalent local des Gauloises.
Il n'y avait pas d'école secondaire à Antsirabé, seulement à Tananarive, le collège jésuite Saint Michel où je fus donc pensionnaire. A l'époque collège voulait dire école catholique et lycée école laïque, mais le collège allait de la sixième à la terminale. Je partais d'Antsirabé en car, pour 170 km, dont 50 goudronnés.

        
Départ pour le collège  
Cette expérience chez les jésuites m'a définitivement marqué. J'y ai acquis la haine des "curés" et de la religion. Ma personnalité ne s'adaptait pas à ce régime, alors que mon grand frère s'y trouvait très bien. La discipline était d'une rigueur extrême, la pratique religieuse obligatoire à haute dose.
Pour la communion solennelle on nous avait imposé le complet blanc. Une dépense bien inutile qui avait fait râler Maman, un costume sur mesure porté une seule fois!!!

Le dortoir était une grande salle qui contenait une centaine de lits, sur quatre rangées. Chaque lit était séparé du voisin par une petite table de nuit, et protégé par une moustiquaire qui donnait une sorte d'intimité une fois couché. Silence absolu de rigueur. Des bonnes sœurs s'occupaient du linge, qui était marqué d'un numéro, 116 pour moi. Deux fois par semaine on trouvait un rechange propre sur notre lit. Lever à 6 h 30 je crois. Toujours en silence on allait faire la queue aux cabinets et pour se laver. Pour celà il y avait une grande gouttière en tôle le long d'un mur, et un tuyau percé d'un petit trou tous les mètres, qui faisait un petit jet continu. On faisait donc la queue devant les jets et chacun son tour on se lavait la figure et les dents. C'était succinct. Ensuite on descendait en rangs jusquà l'étude. Là encore une immense pièce avec des rangées de pupitres, deux blocs de 5 pupitres par rangée. A un bout de la salle une haute estrade avec le bureau du père surveillant. On aurait entendu une mouche voler. Pour aller au WC on levait le doigt et on était autorisé chacun son tour. A l'entrée du lieu un grand panier contenait les vieux papiers qui servaient de papier de toilette. Il fallait le froisser serré puis le défroisser pour avoir quelque chose qui essuyait au lieu d'étaler !
Près du pupitre du surveillant il y avait des casiers où on devait déposer un bulletin de confession. C'était un petit papier de la taille d'un billet de Monopoly, avec un formulaire "L'élève ..... demande à se confesser au Père .... le .... " Chaque confesseur avit son casier. Seulement ce n'était pas confidentiel, mais scruté. Il était bien vu de se confesser chaque semaine, normal pour des grands pêcheurs de 12 ans. Si je n'y allais pas deux semaines de suite j'étais convoqué par le père recteur qui me susurrait "Hervé tu n'as pas vu le Père Machin depuis quinze jours, as-tu un problème mon petit ? Il faut m'en parler." Tu parles, Sale flic! me disais-je.
Après l'étude toujours en rangs, en silence et bras croisés, direction la chapelle pour la messe. Ensuite et enfin descente au réfectoire pour le petit déjeuner. A une période je ne tenais pas le coup jusque là et je tombais dans les pommes pendant la messe. Alors un copain de Goulven, qui était pion et avait sa chambre pas loin de la chapelle, m'a préparé pendant quelques jours un vrai petit déjeuner de chocolat au lait avec des tarines beurrées. Quelle jouissance!
Le réfectoire ! Immense, tous les élèves dans la même salle, par tablées de dix ou douze, sur des bancs. Chacun une gamelle et un gobelet en alu et un couvert. Là encore un père trônait sur une haute estrade et faisait la lecture. Vers la fin du repas il cessait la lecture et on pouvait parler. Le boucan était aussitôt abominable.
Pour le petit déjeuner on prenait en passant près de l'entrée un morceau de pain, un petit tronçon de baguette. A table on nous servait un quart de cacao à l'eau vaguement sucré. De quoi tremper le bout de pain sec.
Pour les repas il y avait un ragoût noirâtre, invariablement accompagné de riz. Mais du riz non blanchi, avec sa petite peau rouge, et qui collait en boules compactes. L'enveloppe rouge était peut-être une source de vitamines, mais au goût ce n'était pas fameux. Dessert une banane, toujours. Malgré les vitamines du riz complet j'ai fait une avitaminose assez sévère. Quand je suis rentré à la maison pour les vacances de Pâques, la peau de mes pieds partait en lambeaux, et j'ai passé la majeure partie des vacances avec les pieds tartinés de pommade et bandés.
Bref la plus grande part de la journée c'était en rangs et en silence ou en salle de classe ou d'étude, toujours en silence. Il y avait des petites récrés, mais surtout une grande récréation après le repas de midi. Cela se passait sur un grand terrain en terre battue, planté de grands eucalyptus. Le loisir le plus pratiqué, très original, c'était le football sur échasses. Il y avait des centaines d'échasses assez courtes, le pied à environ 30 cm du sol. On courait là dessus et on tapait la balle avec le bas de l'échasse. Il y avait des chutes bien sûr et le résultat était souvent un bras cassé. Vraiment cassé, les deux os, et le bras plié à 90°. On manquait sans doute de calcium autant que de vitamines !!! J'ai échappé à ce genre d'accident, je ne pratiquais pas beaucoup le foot.

La tuberculose : je me plaignais souvent d'avoir mal au dos, et je ne respirais sans doute pas la santé. Maman a donc décidé de me faire passer une radio et elle m'a accompagné. Je me souviens bien de la séance, j'avais été impressionné par le tablier de plomb que portait le radiologue. Une fois les clichés développés, consternation. Le médecin montre à Maman que j'ai une grosse caverne à chaque poumon, tuberculose avancée. On chuchote mais je perçois que c'est grave. Le lendemain je me retrouve à l'hopital, au lit, dans le pavillon des contagieux. Défense de me lever et de faire des efforts, piqure dans la fesse matin et soir. Les journées sont longues et ça dure un mois. Consultation, j'entends le médecin dire à Maman qu'il faudrait me faire un pneumothorax, mais que la convalescence dure un an et qu'il vaudrait mieux aller faire ça en France. Je ne sais pas ce que c'est qu'un pneumothorax, mais au ton de la conversation ça me paraît terrifiant.
Me voilà donc "rapatrié sanitaire", et je me retrouve dans une clinique à Paris où je m'ennuie ferme pendant une semaine. Avant de décider de mon sort on me fait une série de radios avec du matériel plus moderne et miracle, pas la moindre de trace de cavernes dans les poumons. Ouf! plus question de pneumomachin. On explique que la tâche sur les poumons était sans dout dûe à la présence d'œufs d' ascaris. Ces gros vers, de 15 à 20 cm de long, vivent dans l'intestin mais les larves migrent dans les poumons, puis redescendent dans l'intestin. Quelle horreur. Cependant, tant d'années après, j'ai encore un doute sur le diagnostic. Le seul symptôme dont je me souvienne c'est les douleurs dans le dos, pas de diarrhées ni de vomissements ni de douleurs abdominales. Et ces mêmes douleurs dans le dos me visitent encore de temps à autre.

départ de Tana
 
Ensuite j'ai un trou de mémoire complet, le black-out...

Saint Quay 1952 Goulven va bientôt rejoindre l'armée. C'est peut-être ce qui a suscité cette série de poses des trois frères ensemble. Les kabigs avaient été confectionnés chez grand-père à Lesneven par une couturière qui venait à domicile. Le tisssu classique pour ce vêtement typique était un drap blanc, avec un petit liseré bleu-blanc-rouge. Goulven a passé l'âge du slip de bain en tricot.